La métamorphose de l'Eucharistie - partie 1 sur 2
Rudolf Frieling - Article paru dans Perspectives chrétiennes - Printemps 2001
À la veille de l’événement du Golgotha, le jeudi saint, le Christ célébra la Cène avec ses disciples. II partagea le pain et le vin, porteurs de son corps et de son sang, exhortant ses disciples à accomplir cela désormais en mémoire de lui. C’est de cet ultime repas que l’eucharistie, le rituel de la messe, est né. Il est de nos jours célébré par la Communauté des chrétiens sous une forme nouvelle où l’on retrouve les quatre principales parties : l’Évangile, l’Offertoire, la Transsubstantiation et la Communion.
Il arrive que l’on pose parfois la question : ce rituel est-il fondé dans un véritable christianisme ? Est-il basé sur le Nouveau Testament ? L’Église protestante a toujours essayé de se tenir à la lettre même de l’Évangile, et rejette tout ce qui semble, d’une façon ou d’une autre, au fil des siècles, s’être ajouté au texte de l'Écriture.
Cela ne fait aucun doute : le Nouveau Testament est la base et le livre de référence du christianisme.
L’anthroposophie donne, à travers la connaissance spirituelle qu’elle met à disposition de la conscience de notre époque, une nouvelle possibilité d’appréhender le caractère inspiré de ce livre unique qu’est l’Évangile. C’est l’une des tâches de la Communauté des chrétiens que de s'efforcer de comprendre « concrètement » les Écritures, les considérant comme étant des documents nés d'une inspiration réelle de l'Esprit. Mais nous ne devons pas oublier que, du temps des premiers chrétiens, le Nouveau Testament n'existait pas encore : les Épîtres de Paul furent, semble-t-il, écrites vers l'an 50 ; les trois premiers Évangiles aux environs de l’an 60 à 70 ; et l'Évangile de Jean vers l'an 100. Ce n'est pas avant la fin du deuxième siècle que ces textes furent réunis dans le Nouveau Testament.
Le canon de celui-ci ne fut définitivement fixé qu'en 393 par le synode de l'Église qui se tint en Afrique du Nord, à Hippo Regius. Nous pouvons voir et vénérer dans ce processus d'élaboration du canon du Nouveau Testament l'action de l'Esprit saint qui a inspiré ceux qui avaient à accomplir ce travail. Néanmoins, les premiers chrétiens eurent à vivre sans ces écrits. Par contre, ils vivaient dans la proximité immédiate de l'événement christique du Golgotha et de Pâques, et ils avaient l'eucharistie. L'Église chrétienne vécut un certain temps sans Nouveau Testament, mais elle ne vécut jamais - et ce depuis les origines - sans l'eucharistie.
L'eucharistie est mentionnée une première fois dans les Actes des Apôtres, après que ceux-ci eurent reçu l'Esprit saint à Pentecôte : "Ils rompaient et partageaient le pain dans les maisons, avec une joie intense et une grande simplicité de cœur ». Ce fut la première eucharistie après le jeudi saint, une première métamorphose de la Cène : celle-ci avait été célébrée dans une ambiance d'adieux, sur laquelle planaient les épaisses ténèbres des événements alors imminents. Après la Pentecôte, c'était une ambiance de jubilation. Le mot grec agalliosis signifie plus que « joie » ; c'est une sorte d'enthousiasme et d'exaltation spirituelle. L'ultime repas avait été un moment d'adieux. Après Pentecôte, c'était la première aurore qui se levait, apportant la venue spirituelle du Christ.
Dès les premiers temps du christianisme, l'eucharistie n'a jamais été une simple répétition de la Cène. Celle-ci était comme une graine qui commençait à germer et à croître. L'on ne peut pas remettre en cause le fait que la plante, en grandissant, est d'un aspect différent de celui de la graine. Certes, il y a « identité », mais aussi « métamorphose".
La Cène, célébrée la veille du vendredi saint, est une sorte d'anticipation, un compendium prophétique de l'acte du Golgotha. Elle révèle le sens même de l'être du Christ et de son action sur la Terre, à savoir que le christianisme n'est pas seulement une doctrine et une éthique, que le Christ n'est pas seulement un maître et un exemple, mais qu'il est le dieu venu sur terre qui a transformé sa divinité en humanité par le chemin de la mort et de la résurrection. Il transforma la « longueur d'onde » de son existence divine et la plaça sur celle de la réalité humaine afin de devenir accessible pour les hommes et de pouvoir « communiquer » avec eux. Nous avons désormais à le « manger » et à le « boire » spirituellement afin d'être de plus en plus pénétrés de sa substance céleste. L'essence du christianisme consiste en ce que le Christ s'offre à ceux qui veulent le suivre : « Mangez et buvez-moi, prenez-moi dans tout votre être ».
Ce qui est démontré par anticipation dans la Cène est accompli pleinement dans l'acte du Golgotha, dans la mort et dans la Résurrection. Ainsi l'eucharistie ne se réfère plus à une anticipation, mais à un acte accompli, véhiculant la substance rayonnante de l'être du Christ et l'émanation de son grand acte.