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Pourquoi moi, ô Seigneur  ?                         

Job et la question de la souffrance         

Douglas Thackray
 

 

En tant que prêtre à la retraite, je fais partie d'une équipe visitant les hôpitaux pour un accompagnement pastoral. Lors d'une de mes visites, le service était très fréquenté et je balayais les lits du regard. J'ai attiré l'attention d'un homme d'une cinquantaine d'années et je me suis approché de son lit. Il m'a murmuré : « Hier, le médecin m'a dit que j'avais un cancer en phase terminale. Pourquoi moi, monsieur le pasteur, pourquoi moi ? » a-t-il demandé en retenant ses larmes. 

Il avait l'impression d'avoir été condamné à mort. Il a vu sa vie balayée, imaginant un avenir où il ne serait tout simplement plus là pour voir ses enfants grandir, ni pour leur tenir la main. Sa vie était déjà terminée. Sa plainte était celui de centaines de personnes dans le monde qui, ce jour-là, découvraient soudain qu'un gouffre s'était ouvert sous leurs pieds et qu'elles tombaient dans un inconnu terrifiant, s'écriant dans leur chute « Pourquoi moi ? ».   

Le livre de Job est entièrement centré sur cette question. Job, le bon et fidèle serviteur de Dieu, a subi des pertes et des tourments dépassant l'endurance humaine. Il a exigé que Dieu réponde à sa question : « Pourquoi moi ? ». Dans l'histoire de Job, nous voyons comment il découvre la capacité de transformer la douleur en justice, non seulement pour lui-même, mais aussi comme un chemin pour tous ceux qui, faisant confiance à l'Esprit, cherchent à comprendre ce qui se cache derrière la souffrance. L'histoire de Job est importante pour cette raison.

Le drame commence au ciel. Dieu donne audience à ses anges qui se sont rassemblés autour du trône. Parmi eux se trouve Satan qui semble tout à fait à l'aise dans cet environnement céleste. Dieu s'entretient avec lui, soulignant les vertus de son fidèle et dévoué serviteur Job, qui « craint Dieu et fuit le mal ». Satan n'est pas impressionné. Il demande à Dieu la permission de tester Job en le dépouillant de tout ce qu'il possède et en l'exposant à des épreuves qui ne manqueront pas de le briser. Permission est accordée. Job, l'homme le plus riche d'Orient, perd tous ses biens mais aussi ses enfants qui périssent. Étonnamment, Job ne perd pas la foi. Il s'exclame, en réponse aux remontrances de sa femme : « Dieu donne et Dieu reprend. Béni soit le nom du Seigneur » (1, 21).

N'ayant pas réussi à briser la fidélité de Job à Dieu, Satan réapparaît au ciel et demande la permission d'infliger à Job des furoncles de la tête aux pieds. Dieu accepte, à condition qu'il épargne sa vie. Satan infligea alors à Job des plaies douloureuses de la tête aux pieds. Le texte continue : « Alors Job prit un bout de poterie brisée pour se gratter, assis au milieu des cendres ». Il se décrit comme étant recouvert de vers et de croûtes - sa peau est disloquée et suppure. Sa femme lui dit : « Vas-tu encore persévérer dans ton intégrité ? Maudis Dieu et meurs ». Ce à quoi il répond : « Tu parles comme une folle ; devons-nous accepter le bien de Dieu et non le mal ? » (2, 7-10).

Dans la réaction de Job à son sort, nous discernons deux états d'esprit contrastés : d'une part, l'acceptation et d'autre part, des diatribes de colère dirigées contre l'injustice de Dieu. Il se lamente :

Et si je me redresse, tel un lion tu me prends en chasse, tu déploies contre moi ta puissance impressionnante. Tu m'opposes de nouveaux témoins, tu multiplies tes fureurs contre moi, tes attaques m’arrivent vague après vague. Pourquoi m'as-tu fait sortir du sein ? J’aurais alors péri avant qu'un œil ne m’eût vu.  J’aurais été comme si je n’eusse jamais été, et porté du sein à la tombe. Et ils durent si peu, les jours de mon existence. Éloigne-toi de moi pour que je puisse avoir un moment de joie avant que je ne m’en aille sans retour dans la région des ténèbres et de l’ombre de la mort (10 :16-21).

Certains disent que le mal est là pour faire ressortir le meilleur de l'homme. Si cela est vrai, peut-on trouver cette transformation chez Job ? Comme nous l'avons vu, il est soumis à une échelle toujours plus grande de souffrances, de deuil, de dépression, de colère, de désespoir, de confrontation. Pourtant, il traverse toutes ces terribles épreuves pour être récompensé par l'illumination de la gloire de Dieu qui le guérit de ses blessures. Nous le rejoignons à nouveau lorsqu'il réfléchit à sa condition :

Qu'est-ce que l'homme pour que tu en fasses si grand cas, pour fixer sur lui ton attention, pour l’inspecter chaque matin, pour le mettre à l'épreuve à chaque instant ? Ne détourneras-tu jamais les yeux de moi, ne me laisseras-tu pas seul, même pour un instant ? Si j'ai péché, que t’ai-je fait, ô toi qui observes les hommes ? (7:17-20).

Quelque chose semble avoir changé chez Job : en traitant Dieu comme une personne, il commence à trouver son propre centre au milieu de toute cette incertitude. Rudyard Kipling saisit cette atmosphère dans son poème Si (If) : « Si tu peux garder ta tête froide quand tous ceux qui t'entourent perdent la leur et te le reprochent, si tu peux avoir confiance en toi quand tous les hommes doutent de toi, mais en tenant compte de leurs doutes… ».

En affirmant son innocence, Job s'appuie sur l'authenticité de son moi intérieur qui est ancré en Dieu. Il a découvert la réalité décrite par Saint Augustin : « Dieu est plus moi-même que je ne suis moi-même ». Cela laisse entendre que Dieu révèle à Job de nouveaux aspects de son être qui lui étaient jusqu'alors inconnus : « Je ne renierai pas mon intégrité jusqu'à ma mort. Je maintiendrai ma droiture et ne l’abandonnerai jamais, ma conscience ne me reprochera rien tant que je vivrai » (27, 6). Au vu du déroulement des événements, il commence à comprendre que ce qui lui arrive fait partie d'un plan divin.

Dans sa contemplation solitaire, il se rend compte qu'il ne peut pas réaliser cette transition tout seul. Il sait que le fossé entre Dieu et lui-même est trop grand pour être comblé par lui-même : « Qui s’assurera de ma sécurité ? » (17, 3). En réponse à cette question, Job reçoit la révélation glorieuse de l'amour rédempteur du Christ : « Dès maintenant, j’ai dans les cieux un témoin, là-haut se tient mon défenseur. Mon intercesseur est mon ami, alors que mes yeux versent des larmes à Dieu en faveur de l'homme. Il plaide auprès de Dieu comme l'homme plaide pour son ami. » (16:19).

Ayant reçu le gage de l'amour du Christ dans son cœur, des larmes de soulagement jaillissent ; soulagement à la pensée que l'ami et le défenseur n'est pas seulement là pour lui, mais pour tous ceux qui ont besoin de guérison. C'est le moment de l'illumination de Job, sa renaissance. Paul a résumé cette expérience des siècles plus tard : « Si donc quelqu'un est en Christ, il est une création nouvelle ; un nouvel être est là, l’ancien a disparu ». (II Cor. 5:17).

Maintenant que Job a eu une rencontre avec son « ami », il saisit l'occasion pour prendre pied dans le ciel lui-même. Job sait que Dieu lui a donné la révélation afin qu'il puisse maintenant s'approcher du trône pour entendre sa Parole de guérison qui apporte la paix et la joie dans son cœur tourmenté. « Je sais que mon rédempteur est vivant et qu'à la fin il se tiendra sur la terre et, même après la destruction de ma peau, je verrai Dieu dans ma chair. Je le verrai moi-même, de mes propres yeux, et pas un autre. Comme mon cœur se languit en moi ». (19, 25).

Le thème de la souffrance et de la justice de Dieu ne peut jamais être épuisé. Dans l'Évangile de Saint Jean, le Christ s'exprime sur ce thème lorsque ses disciples lui demandent si l'aveugle-né était ainsi à cause de ses péchés ou des péchés de ses parents. Jésus répond : « La cécité n'est pas due à son péché ni à celui de ses parents, mais au fait que l'action du divin en lui doit devenir manifeste » (Jean 9, 3).

Il nous est dit qu'aucune explication extérieure ne suffit à rendre compte de la souffrance dans le monde, mais que la souffrance opère une transformation de l'âme qui conduit à l'expérience du divin, trésor d'or et secret intime.

Nous avons commencé par le gémissement de l'homme atteint d'un cancer ; pour terminer, nous retournons dans les salles où je suis constamment surpris et empli d'admiration pour les patients. Une dame âgée avait déjà été amputée d'une jambe. Aujourd'hui, elle est revenue pour subir une opération qui met sa vie en danger. Alors qu'elle était transportée dans le couloir par les brancardiers, elle m'a fait un signe nonchalant de la main et m'a souri d'une manière qui témoignait de sa confiance totale dans ce qui allait se passer. J'ai pensé que je pouvais voir dans ce sourire la gloire de Dieu révélée en elle.

 

Douglas Thakray est un prêtre retraité de la Communauté des chrétiens
(Falmouth (Royaume-Uni)


Texte publié en 2016 dans Perspectives UK (Royaume-Uni)
Traduction/Adaptation : Philia Thalgott

 

* Note sur les passages du Livre de Job : les diverses traductions diffèrent jusqu’à des divergences de sens notables. Les citations dans ce texte sont basées sur la version de la Bible de l’École biblique de Jérusalem, mais ont été adaptés afin de correspondre à l’interprétation retenue par D. Thakray.

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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