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Connaître le mal - le transformer en bien                       

Roger Druitt - Prêtre émérite (Hereford, Royaume-Uni)                                                      

 

Le mal est-il une force intérieure ou une entité externe hostile à la vie humaine ? N'a-t-il rien à voir avec la moralité personnelle du fait qu'il est conditionné par l'éducation et l'environnement ? Et où se situe la responsabilité personnelle de chacun ?

L'article « Votre bonne santé »[1 suggérait qu'une attitude connue pour favoriser la santé et éloigner la maladie est celle de l’engagement. Qu’il s’agisse de plonger avec enthousiasme dans l’eau glacée ou de se lancer avec audace dans une situation périlleuse, en faisant confiance à ses propres ressources corporelles et spirituelles, en croyant que toute situation peut être retournée en avantage. Ceci implique de reconnaître la peur et de la mettre de côté pour faire place à l'engagement dans la vie.

Cette attitude s'applique ici au mal – qu'il soit causé ou subi – qui peut constituer une part importante de notre destin. L'exemple le plus frappant est celui de Jésus embrassant Judas (et à travers lui, Satan), le choisissant pour la trahison (Jean 13). Cela a permis à Satan de s'approcher, de sorte qu'une fois racheté par la crucifixion, ses mauvaises actions ultérieures sont également rachetables.

Mais que sait-on des forces qui s'attaquent à l'âme ?

Les recherches les plus complètes dans ce domaine se trouvent dans les travaux de Rudolf Steiner, qui offre une excellente perspective sur tous les types de mal et démontre l'existence d'aspects à la fois objectifs et personnels. Pour lui, ce sont des entités adverses qui ont introduit l'égotisme dans l'âme humaine, afin de permettre au moi de se développer en s'affranchissant de la Forme puissante du créateur (Genèse : Faisons l'homme à notre image). Sans ce « mal », l'humanité serait restée à jamais comme un enfant sous le contrôle de ses parents, ou comme un adolescent empêché de se rebeller pour devenir un adulte responsable. Malheureusement, lorsque cela échoue, il en résulte un mal - une personnalité emprisonnée.

Imaginez maintenant que vous passiez de ce plan terrestre au royaume de l'esprit. N'y aura-t-il pas de multiples distractions dues aux conditions et à la myriade d'êtres qui s'y trouvent, qui autrement sont voilés par l'inconscience du sommeil ; et une certaine forme de volonté personnelle ne sera-t-elle pas nécessaire pour rester centré et ne pas se perdre ? Mais lorsque cette volonté opère de ce côté-ci du seuil, elle fonctionne comme le mal de la recherche de soi et doit être limitée, parce qu'elle défie toute la qualité humaine de l'amour, qui est après tout le but de l'évolution de la Terre.

Pour compléter l'effort humain, il y a cependant une intervention divine pour faire face à cette situation : La Saint-Michel. Michaël et le dragon ! Dans l'Acte de consécration de l'homme, le dragon est représenté sous les pieds de Michaël – non pas tué mais maintenu. Plusieurs traditions populaires montrent des saints capables de contrôler les démons grâce à la puissance chrétienne, et de les faire œuvrer en les maintenant à leur place légitime. Un conte charmant décrit un saint souhaitant construire une église, mais en butte à de constants obstacles. Reconnaissant la signature du démon, le saint lui ordonne de manier la brouette et le travail se poursuivit mieux qu'on aurait pu imaginer. La technologie d'aujourd'hui est parfois ainsi – indispensable au bon endroit, destructrice et asservissante au mauvais. Savoir que de telles forces ont une raison d'être dans l'ordre mondial en transformant le mal en bien est un premier pas dans cette direction ; mais quelle est la clé pour gérer cela ?

Le dragon représente à la fois le diable et Satan (froid à l'extérieur, chaud à l'intérieur) ; Rudolf Steiner les appelle Lucifer et Ahriman : et ils doivent être tenus en échec avec l'équilibre de Michael, le penseur clair de l'esprit.

Lucifer, le « porteur de lumière », conduit vers les domaines de la chaleur, de la lumière et du confort. Il peut enthousiasmer sans responsabilité et stimuler la créativité ; mais tout garde une empreinte d'orgueil et de gloire : sa propre empreinte, plutôt que la marque christique de vérité et d'amour. Ahriman apporte avant tout un puissant pouvoir de logique – une logique informatique en noir et blanc – plutôt qu'une logique créative et désintéressée qui fonctionne à partir du principe divin créateur fluant à travers notre humanité. Les aberrations vers les extrêmes du chaud ou du froid susceptibles de menacer doivent être identifiées, puis la force opposée doit être engagée pour rétablir l'équilibre.

La vie ne se déroule plus en ligne droite (l’a-t-elle jamais fait ?) mais en courbes répétées, vers la gauche et vers la droite, un peu comme lorsque nous marchons.

Que se passe-t-il alors si j'ai envie de faire quelque chose de nouveau mais que je suis entravé par des réglementations ou des traditions ? Mon impulsion est-elle vraiment aussi noble que je l'imaginais ? Mais si j'examine attentivement les restrictions, que je les remets toutes en question de manière rationnelle, puis que je décide de celles que je peux faire miennes, alors ce n'est pas une force extérieure qui m'entrave et que je réprouve, mais le raisonnement de ma propre âme. Je compense alors l'excès d'enthousiasme par du sang-froid. Je peux aimer ces forces potentiellement mauvaises parce qu'elles ont amélioré ma vie.

Dans ce contexte cosmique, je me suis rapproché de l'idée d'« aimer mon ennemi » et j'ai fait un pas vers la liberté.

L'ordre, même l'ordre divin de l'Ancien Testament, peut être synonyme de mort pour la créativité, mais celle-ci prospère lorsqu'elle est régulièrement restaurée à partir d'un état de chaos. Pas d'adversaire – pas de chaos, pas de Michaël – pas d'équilibre ; pas de créativité libre - pas de cosmos (terme grec pour l’ordre harmonieux).

L'amour constitue en fin de compte la leçon essentielle du christianisme, car il l'emporte sur la réglementation, produisant quelque chose de meilleur qu’une réglementation ne pourra jamais le faire.

Chercher à aimer ce qui semble mauvais est certainement un grand défi.

[1] Perspectives, March-May 2024

Titre original : « What and where is evil? – Turn it to the good!»
Paru dans Perspectives (Septembre 2024) - http://perspectives-magazine.co.uk
Traduction/adaptation : Philia Thalgott

 

 

 

 

 

 

 

 

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