Michaël et la prière
Walter Wild - Extrait d’un article paru dans Perspectives chrétiennes - Saint-Michel 2000
De l'Évangile d'aujourd'hui nous avons soulevé le motif qui est omniprésent dans notre vie : qu'est-ce que ceci et cela m’apporte ? La manière de prendre nos décisions sous l'aspect de la rentabilité matérielle fait de nous des invités peu dignes du royaume des cieux. Ne pas être digne du ciel veut dire : être banni dans une existence dans les ténèbres, les mains et les pieds liés, où il ne reste qu'à grincer des dents. Le grincement de dents indique toujours que la mort est imminente.
Celui qui se trouve jeté dehors, n'étant pas digne, se trouve en compagnie de quelqu'un qui s'était fait mettre à la porte avant nous (Apocalypse 12) :
« Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien appelé diable et Satan, celui qui séduit toute la terre, il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui ».
Pourquoi ce traitement sévère de l'homme qui n'avait pas mis le vêtement de fête (Matthieu, 22:11-14) ? Et pourquoi cette opposition féroce de Michaël qui n'hésite pas à déclencher une guerre au ciel pour éloigner l'adversaire ?
Les raisons sont les mêmes : le ciel, et en particulier Michaël, ne supportent pas l'orgueil, qui est une forme d'égoïsme. L'homme est entré dans la salle des noces sans respecter l'exigence du lieu. Sans doute s'était-il estimé assez digne, assez beau pour ne pas avoir accepté le vêtement de fête qui lui était offert selon la coutume. L'orgueil est une fausse estimation de son propre être. C'était la même habitude d'orgueil de la part d'un habitant du ciel qui souleva la colère de Michaël. Le dragon se tient devant la femme qui doit enfanter. Cette âme de l'univers, cette mère de toutes les âmes humaines devait enfanter un fils. Ce fils avait un rôle à jouer dans le cosmos : paître les nations avec une verge de fer. Il est le porteur de la liberté, de la responsabilité, celui qui donne à l'âme la possibilité de prendre des décisions en harmonie avec le cosmos, le « Je » qui devait naître de l'âme universelle. Mais le dragon voudrait s'emparer de ce don divin et garder la meilleure part de la création pour lui. Dans son égoïsme et son orgueil, il a pu s'opposer à la volonté, la création divine. Cette opposition lui valait la perte du ciel.
Et nous savons que ce serpent ancien a réussi à implanter en chaque homme l'orgueil et l'égoïsme, « d'être comme Dieu ». L'homme est exclu du paradis, comme le dragon du ciel. Mais la meilleure partie de l'homme, l'enfant qui doit paître les nations, n'est pas tombé dans les mains du dragon. Il fut enlevé auprès du trône de Dieu. Notre véritable « Je » est entre les mains du Christ, là il nous attend. C'est lui, notre « Je », l'époux qui attend sa mariée à la table royale. Le Christ, le roi nous appelle au festin. Mais pourquoi ceux qui entendent l'appel sont-ils si peu nombreux ?
L'orgueil et l’égoïsme retiennent. L'orgueil nous fait prétendre avoir déjà tout ce qu'il faut, être déjà digne. L'égoïsme nous fait poser la question : qu'est-ce que cela m'apporte ? Ne ferais-je pas mieux de m'occuper de mes terres, de mes champs et de mon commerce ?
La bête qui est décrite dans l’Apocalypse nous a tous dans ses griffes. Ne nous faisons pas d'illusions et de fausse estimation sur notre état. Même les saints sont soumis à la bête (Apoc. 13) :
« II lui fut donné autorité sur toute tribu, tout peuple, toute langue et toute nation. Et tous les habitants de la terre l'adoreront, celui dont le nom n’est pourtant pas écrit dans le livre de vie de l'agneau, qui a été immolé ».
Et après avoir décrit notre faiblesse et notre soumission à la bête, l'Apocalypse parle de la persistance et de la foi qui sont nécessaires aux saints. La persistance en l'esprit et la foi sont nécessaires pour retrouver notre meilleure partie qui nous est destinée et qui nous appelle.
« Notre persistance originelle en l'esprit », c'est ce que nous évoquons à l'office au moment où nous voulons offrir au Père avec l'encens notre prière. C'est là le moment où Michaël apparaît d'une manière invisible dans notre culte. Car au moment où nous prononçons ces paroles : « Notre persistance originelle en l’esprit », l'ancienne messe catholique invoquait l'archange Michaël comme gardien, afin qu'il intercède auprès du Père pour qu'il accepte notre offrande d'encens et avec l'encens notre prière.
Si, dans l'Acte de consécration de l'homme, Michaël intervient juste au moment où il est pour la première fois question de notre prière, il doit y avoir un rapport, il doit y avoir un intérêt de la part de Michaël pour notre prière.
C'est justement la persistance de Michaël en l'esprit qui l'avait poussé à combattre l'orgueil du dragon. La suite de cet acte expose l'âme humaine à la colère du dragon précipité sur la terre. Michaël espère que l'homme pourra trouver la persistance et la foi de ne pas succomber malgré le pouvoir de l'adversaire. Avec cet espoir, il attend, et il nous fait son signe, qui indique à l'homme : Suis-moi. Mais c'est "seulement" pour des instants qu'il met de côté sa rigueur pour l'ennemi, autrement il reste le combattant menaçant l'ennemi ; il reste gardien de l'offrande sacrée. Et à qui veille-t-il quand nous faisons notre offrande, notre prière à la droite de l'autel ? Il surveille son vieil ennemi : l'orgueil et l'égoïsme. Si nous offrons et prions avec la question « qu'est-ce que cela m'apporte ? », nous pouvons être sûr que la prière ne passe pas le seuil dont Michaël se fait le gardien. Il détecte l'égoïsme comme son premier ennemi.
Quand les disciples ont demandé au Christ comment il fallait prier, il a tenu compte de cette faiblesse humaine en donnant une leçon par excellence pour apprendre à renoncer d'abord à l'égoïsme.
Déjà le premier mot de sa prière rend impossible de la faire pour soi- même : « Notre père... »
Je ne peux pas faire autrement que d'inclure dans ma prière tous les hommes. Avant que nous puissions demander la moindre chose pour nous-même, même le minimum pour notre existence terrestre, notre pain quotidien, nous devons tourner notre regard vers le haut et exprimer clairement : Ton nom soit sanctifié. Ton règne advienne. Ta volonté soit faite. Et même après avoir exprimé tout cela, je ne peux rien demander pour moi, mais toujours seulement pour nous. Dans la prière du Seigneur, il n'y a pas le mot « je », ou « moi ».
En prenant cette leçon au sérieux, nous avons gagné une mesure pour toute prière. Et depuis le temps où cette prière nous fut donnée, le monde est devenu encore bien plus égoïste, et une prière qui veut peser sur la balance de Michaël doit être presque encore plus extrêmement désintéressée.
Même pour dire la prière du Seigneur, nous devons apprendre le désintéressement nécessaire. Nous avons besoin de nous éduquer à la prière. Par exemple par la nécessité d'écouter, écouter seulement, la prière qui est dite pour nous ; même pas vouloir la dire soi-même, lors de l'office, mais accepter qu'on la dise pour nous.
Nous sommes aujourd'hui au plus profond de nous-mêmes enchaînés par la bête et obligés à vénérer son nom. Nous pouvons nous considérer comme des débutants, des élèves pour acquérir la persistance et la foi. En admettant cela, nous pouvons terminer cette première contribution à la question de la prière en regardant comment, dans le culte d'aujourd'hui, les enfants apprennent à prier. Cette prière dans l'office dominical pour les enfants est aussi une leçon pour apprendre à surmonter l'égoïsme.
Apprendre à prier sous l'œil de Michaël est en premier lieu renoncer à l'égoïsme et à l'orgueil. Alors notre existence sera avec lui et non pas dans l'obscurité, à l'extérieur du ciel, du paradis, de la salle de noces. Et nos mains et nos pieds ne seront pas liés de force si nous apprenons à les lier ici sur terre de notre propre volonté pour prier, pour une prière qui monte vers son trône comme l'encens, comme une odeur agréable à Michaël et à son Dieu.