L'homme reçoit la force nécessaire
Marie-Pierrette Robert - Article paru dans Perspectives chrétiennes sous le titre « Ni plus ni moins » - Saint-Michel 2000
L'univers entier est ainsi fait que toute chose, tout être est à sa place, a un rôle à tenir, est irremplaçable : les pierres portent les plantes, les plantes portent la vie des animaux et des hommes, les animaux se donnent en sacrifice les uns aux autres, en nourriture, selon la grande loi de la Vie qui est don de soi. Quant à l'homme, il profite à la fois du monde minéral, végétal et animal, jouit de la loi du don de la vie. L'humanité d'aujourd'hui commence à prendre conscience de ce qui se passe lorsque cette dynamique de vie d'un règne à l'autre ne peut plus se dérouler harmonieusement. Lorsque l'un des éléments est touché, ce sont tous les autres qui en subissent le contrecoup.
Cet ordre harmonieux des choses, cet équilibre, l'homme n'en a pas conscience de façon naturelle. Sitôt sorti du cocon protecteur de la petite enfance, il oublie la loi harmonieuse et dynamique de la vie. Aussi est-ce, pas à pas, sa propre vie à lui et les événements qu'elle apporte qui le mettent sur le chemin de cette re-découverte.
Les événements de la vie, les joies comme les peines, sont d'une grande importance, car, quoi que nous pensions, espérions, ils sont bel et bien réels. Ils sont des faits incontournables. L'on peut véritablement tabler dessus. Ils ont le visage de l'Ange du destin.
Rien n'est plus dynamique et vivant que le destin. Il est à la fois ce que nous sommes et ce que nous pourrons devenir. Dans le destin, rien n'est achevé, fini ; tout est en devenir, matériau de travail, de construction, d'élaboration, de métamorphose. Tout événement y a sa place et pose les fondements de possibles à venir. Tout dépend alors de notre capacité de volonté de dialogue avec lui.
Dans ce domaine, le monde spirituel ne nous demande pas plus que ce que nous pouvons donner. Nous sommes poussés jusqu'à nos limites extrêmes, mais il ne nous est pas confié d'épreuves, d'apprentissage plus grand que ce que nous sommes en mesure d'apprendre à supporter véritablement. Là aussi règne la juste mesure, l'équilibre, l'harmonie dans le grand plan divin qui met l'homme au travail.
Le monde spirituel ne nous demande pas plus que ce que nous pouvons réellement donner. Celui qui a reçu 5 talents les a travaillés et en a suscité 5 autres ; celui qui a reçu 2 talents les a travaillés et en a acquis 2 de plus. Chaque fois, l'équilibre est parfait : 5/5,2/2. L'homme reçoit tant, et il suscite autant, selon la loi du mouvement de la vie. D'où nous viennent ces talents ? Sont-ils les dons en tous genres ou les circonstances qui nous accompagnent depuis notre naissance (milieu social, éducation...) ? Ou bien viennent-ils de bien plus loin ? Sont-ils les matériaux de construction qui se révèlent, au fur et à mesure du déploiement de notre biographie, comme étant notre base de travail ? Chacun, se posant sérieusement la question, trouvera de quel « registre » lui viennent ses « talents ».
Et puis l'Évangile parle aussi de celui qui a reçu un talent et qui n'en fait rien. Il stoppe le grand mouvement de la vie, la loi de la dynamique. Il rompt le travail des anges dans la vie de l'homme. La dynamique n'est-elle pas par excellence leur domaine (après les Anges, Archanges, Archées, Exousiaï, l'on trouve, dans la hiérarchie des entités spirituelles les Dynameïs, c'est-à-dire les anges du mouvement) ? Le barrage de l'apathie, de la paresse intérieure, les chaînes des représentations erronées sont venus entraver le vivant. Celui qui a reçu un talent va l'enfouir dans un trou. Il n'a pas pris la peine de penser la Vie, et la peur l'a pris dans ses rets.
Il y a en ces semaines d'automne celui vers qui nous avons à tourner nos cœurs : l’Archange de lumière, qui se donne tellement à Celui qu'il sert, qu'il en devient le visage. Michaël porte la face du Christ. Il veut être découvert comme celui qui est le vainqueur des puissances qui enchaînent l'esprit de l'homme, l'empêchant de penser la vie, lui faisant prendre « des pierres pour des pains ». Il veut susciter en l'homme la force de combattre les puissances adverses, lui faire prendre conscience que c'est à lui, l'homme, de mener ce combat maintenant. Dans le ciel, Michaël a déjà accompli de façon définitive ce combat-là :
« Et un combat s'enflamma dans le ciel. Michaël et ses anges combattirent contre le Dragon. Et le Dragon combattit avec ses anges. Mais ses forces vinrent à manquer et il n'y eut plus de place pour lui et ses anges dans le ciel. Il fut précipité, le grand Dragon, le Serpent des origines, qui est de nature satanique et diabolique, le séducteur et le trompeur de toute l'humanité. Il fut précipité sur la terre, et tous ses anges avec lui... » (Apoc. 12, 7-10.)
« Fais-nous combattre, l'ennemi battre, ô Michaël !... » Ce chant que nous chantons avec les enfants dans le temps de la Saint-Michel est l'expression de cet état de fait. C'est le travail que la divinité attend de l'homme.
Pour mener ce combat, l'homme reçoit la force nécessaire à travers ce fleuve de vie inépuisable qui coule du don le plus immense qui ait jamais été accompli depuis que le monde existe : l'acte de vie que le Christ a accompli en Son sacrifice, en Sa mort sur la croix.
La croix est la grande image que l'Archange met devant notre regard intérieur, l'image de l'équilibre entre le haut et le bas, et l'espace tout entier. C'est cela, la Balance de l'automne, le signe de l'harmonie de l'univers, où tout se tient, a sa juste place, et accomplit ce qu'il a la force d'accomplir, ni plus ni moins.
C'est sous le signe de la croix que l'homme entre dans la mouvance, la dynamique de vie de l'univers. Le temps de la Saint-Michel en automne est là pour éveiller en son âme, en écho à la fête de Pâques au printemps, la naissance d'un lien toujours plus intime avec l'acte de vie du don total accompli au Golgotha.