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La guerre au-dehors et au-dedans       

Irmgard Bauer - Article paru dans Die Christengemeinschaft - Pâques 1991

Dans beaucoup d’endroits du globe des guerres font encore rage.
Et une question pesante persiste : sommes-nous au seuil d'une guerre mondiale ?

Quelle est donc l'origine d'une guerre, d'un conflit : des raisons politiques, économiques, ethniques ? Toute guerre — éloignée ou non géographiquement de chacun de nous — n'a-t-elle pas peut-être quelque chose à voir avec notre propre vie intérieure ?

Une anecdote peut éclairer cette question. Un jour — c'était pendant la seconde guerre mondiale, en Palestine — un moine et un officier se rencontrent à Emmaüs, non loin du monastère où vivait le moine en question. Celui-ci s'était suffisamment éloigné pour, sans le savoir, se trouver en zone militaire interdite. L'officier le somme, bien sûr, de quitter les lieux immédiatement, ce que fait le moine sans protester. Tout en partant, il pose cette question : Que fait la guerre ? L'officier pense qu'il lui demande des nouvelles de la situation militaire du moment ; il s'apprête à répondre lorsque le moine l'interrompt : Je ne parle pas de la guerre extérieure, mais de celle qui vit en vous. La nuit même, cet officier fait un rêve : il est dehors, près du chemin que le Christ emprunta jadis avec ses disciples pour aller à Emmaüs. Il voit alors douze hommes venir vers lui. L'un d'eux lui fait signe que Judas n'est pas là. Les onze sont désemparés et disent au douzième : Il ne lui est pas possible d'être avec nous. Et l'on entend la réponse du Christ : S'il ne peut être avec moi, alors tout a été vain. A cet instant, l'officier, dans son rêve, a un sursaut ; il va vers le groupe des douze hommes et dit : C'est moi, Judas. Que dois-je faire ? Il lui est donné cette réponse : Lève-toi, et va faire la paix avec ton frère. Il est vrai que cet homme, depuis de nombreuses années, vivait en perpétuelle discorde avec son frère. Il va donc le trouver, et alors qu'au-dehors, dans le monde extérieur, la guerre bat son plein, il se réconcilie avec lui. Il raconta par la suite qu'à partir de ce moment-là sa vie fut changée ; cet événement l'avait marquée d'un sceau nouveau, vivifiée. Il fut en mesure de porter cette substance de paix intérieure en mainte situation difficile de sa vie, et ce jusqu'au moment de la mort. Une telle substance de paix est une réalité, une force qui continue d'agir dans le monde des hommes, même lorsque est franchi le seuil de la mort.

Ainsi la paix au-dedans peut être source de paix à l'extérieur, dans le monde. De même « la guerre » à l'intérieur de l'être est une réalité, une force qui suscite la guerre à l'extérieur. Réconcilie-toi avec ton frère. C'est en soi-même que ce travail doit être commencé. Et l'on peut avoir cette confiance qu'une telle attitude peut changer beaucoup de choses, voire même jusque dans les sphères au-delà de la mort.

Il est un autre domaine qui a son importance par rapport au phénomène de la guerre : celui des rencontres des hommes entre eux. Nous sommes à un stade de l'évolution de l'humanité où chacun est appelé à s'intéresser, tout à fait individuellement, à l'autre, aux autres, à tous ceux que l'on est amené à rencontrer. Nous avons à apprendre, à percevoir que cet autre est de fait un être porteur d'un message, un envoyé du monde spirituel, quels que soient le peuple, la race ou la nation auxquels il appartient. Un tel « sentir », un tel sentiment des autres peut se développer jusqu'à ce que nous prenions conscience de la solidarité fondamentale qui unit les hommes : je ne peux être heureux aussi longtemps qu'il y a sur terre, quelque part, l'un de mes frères humains dans la détresse.

Le troisième domaine où nous pouvons apprendre à devenir actifs intérieurement est celui de la pensée. Ce qui importe, c'est non pas d'avoir des pensées toutes faites, des « opinions » (publiques, ou non), mais d'apprendre à penser des réalités spirituelles justes. Dans ce domaine, le monde des défunts est prêt à nous inspirer des idées vraies, des impulsions qui peuvent faire progresser le monde. Chacun de nous vit avec des êtres aimés qui ont quitté le plan terrestre ; des amis, un parent proche, un conjoint. Que pouvons-nous faire pour que nos morts aient une place dans notre vie quotidienne ? Nous avons, dans notre vie quotidienne, des questions qui surgissent en nous, des problèmes à résoudre. Nous pouvons alors, l'espace d'un instant, faire le silence en nous, et nous tourner avec notre pensée vers un défunt pour lui demander : Que ferais-tu, toi, dans cette situation, qui est la mienne maintenant ? Et notre penser, peu à peu, se fortifie dans le dialogue intérieur qui s'instaure avec les défunts qui nous sont chers. Leur présence, leur aide, féconde et rend fortes nos pensées.

La paix au-dedans, la conscience et le respect de l'être spirituel de chacun de nos frères humains, la place faite dans nos pensées aux impulsions qui nous viennent du monde des morts, voilà des forces réelles qui font en sorte que du dedans, de notre vie intérieure, nous agissons pour que vive dans le monde une force faite de substance de paix, une force qui vient contrebalancer tout ce qui, sur terre, est discorde, conflit, guerre entre les hommes.

 

 

Adapté de l'allemand par Marie-Pierrette Robert

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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