­

      

Sa paix                                  

Anna Silber, Prêtre de la Communauté des chrétiens
(Spring Valley, New York)

 

Que la paix du Christ règne dans vos cœurs, puisque vous avez été appelés à la paix en tant que membres d'un seul corps. Et soyez reconnaissants. COL 3:15

Seul Dieu le sait, mais je me hasarde à penser qu'il n'y a pas de prière plus récitée que la prière pour la paix*. C'est une prière sur les lèvres et dans les cœurs des fidèles de toutes les religions du monde et de tous ceux qui recherchent la spiritualité. Cette prière est vraiment digne et juste, et son besoin se fait cruellement sentir. Pourtant le sens et la signification de la paix se perdent facilement, car elle est invoquée si souvent et dans des contextes si variés. Son pouvoir a été amoindri par tout ce qui va des slogans percutants sur des autocollants jusqu’aux formules politiques, laissant le mot lui-même sonner creux et vide.

Tout cela peut nous amener à nous demander ce que nous entendons vraiment par « paix » et comment métamorphoser notre compréhension et notre expérience de la paix. Lorsque nous prions pour la paix, nous prions souvent pour que quelque chose s'arrête, qu'il s'agisse de la guerre et de la violence dans le monde, ou de l'anxiété et de la peur dans nos propres âmes. Mais cette idée de la paix est problématique. Elle suppose que la paix régnera lorsque les conflits auront disparu, que la paix est simplement l'absence de querelles. Naturellement, il s'ensuit une initiative visant à éliminer les sources de conflit et d'agitation dans nos vies intérieures et extérieures. Ce faisant, nous pouvons involontairement devenir les générateurs de ce que nous cherchons à surmonter, à savoir l'une ou l'autre forme de violence.

Cette violence peut prendre de nombreuses formes, certaines subtiles – comme la suppression du chagrin dans l'âme –, d'autres plus visibles, comme une guerre totale. Pour l'exprimer en termes extrêmes, j'ai entendu récemment dans un journal télévisé que « le chemin de la paix, c'est la guerre ». Quel long cheminement avons-nous à faire en tant qu'êtres humains pour lutter pour la paix ! Et c'est là que le problème apparaît immédiatement. Cela me rappelle l'époque où j'enseignais dans une salle de classe bruyante et chaotique, en élevant la voix, en hurlant « silence ! ». Avec le temps, j'ai appris que je pouvais apporter une véritable paix dans le chaos en proposant quelque chose de nouveau, comme une chanson ou un simple jeu. Autrement ma seule option était de dominer les élèves en ayant la voix la plus forte, de gagner par la peur et le pouvoir.

Cela nous amène à un autre défi pour notre compréhension de la paix : la question de sa source. Lorsque nos efforts pour instaurer la paix sont générés par la sphère de rupture qui a causé les problèmes en premier lieu, comment pouvons-nous espérer que la paix dure ?

Ne sommes-nous pas simplement en train d'utiliser des outils de paix forgés par des mains qui appartiennent à ceux qui ont le cœur brisé, ce qui nous inclut plus ou moins tous ?

Tant que la paix aura une source terrestre, elle continuera à nous échapper et, si nous parvenons à l’atteindre, elle ne sera qu'éphémère. Comment pouvons-nous espérer obtenir quelque chose d'éternel à partir de quelque chose de temporel ?

Dans l'Évangile selon Jean, le Christ Jésus offre sa paix aux disciples : Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Jean 14:27

Il prononce ces paroles lors du repas de la Pâque, la veille de sa crucifixion, un événement vers lequel il s’avance en pleine conscience. Pourtant, face aux horreurs qui l'attendent, il offre sa paix à ceux qui sont rassemblés avec lui, d'un cœur plein de gratitude envers Dieu. Comment cela est-il possible ? Les prédictions de sa souffrance et de sa mort révèlent qu'il sait qu'il sera accusé à tort, moqué, torturé et tué brutalement. Ainsi il semble que sa paix ne dépend pas des circonstances extérieures, quelles qu'elles soient. Sa paix l'accompagne dans tout cela et devient le remède même aux maux qui provoquent son tourment et sa mort en premier lieu. C'est la vraie paix et elle possède un pouvoir de guérison qui ne peut pas engendrer la violence. Elle ne peut que guérir. Sa substance est un amour puissant, générateur, créatif, forgé sur la croix du sacrifice.

Dans sa paix, il y a la souffrance, il y a la mort et la victoire sur la mort. L'Évangile de Jean nous donne une image puissante de cette réalité.

Or, à l'endroit où il avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans le jardin, un tombeau neuf dans lequel personne n'avait encore été déposé. Jean 19 :41

Dans un grand arc narratif, la Bible part du jardin d'Eden d'où les êtres humains sont exilés, jusqu'à la Cité de Dieu, fertile et plantée de l'Arbre de Vie. L'exil, connu sous le nom de chute de l'homme, a banni les êtres humains dans le royaume où la mort règne, à l'extérieur des portes du jardin. Le Vendredi saint, après la crucifixion du Christ Jésus, nous sommes conduits dans un nouveau jardin ; mais ce jardin contient désormais un tombeau, symbole de la mort. L'acte du Christ a ouvert un chemin pour la guérison de la chute de l'homme en portant la substance de son amour jusqu'à la porte de la mort elle-même. Grâce au Ressuscité, rien ne peut séparer l'être humain de Dieu, pas même la mort.

Dans le service eucharistique de la Communauté des chrétiens – l’Acte de consécration de l'homme – les prières de la communion nous entraînent dans la relation du Ressuscité avec le monde. Nous entendons qu'il est en paix avec le monde. Cela ne signifie pas qu'il est distant ou passif face à la souffrance et à l'injustice, bien au contraire. Il incarne la paix et il a donné la substance de son être pour la transformation du monde. Nous entendons ensuite dans ces prières que sa paix peut aussi être la nôtre, parce qu'il nous l'a donnée. Cette substance puissante, créative et générative a sa source au-delà du seuil de la mort et nous vient du royaume de la vie nouvelle. Cette substance de paix est offerte à quiconque souhaite la recevoir. C'est un don de la grâce et il trouvera son chemin dans le monde, en vue de sa transformation, à travers les âmes humaines qui le portent en elles.

Par la communion sacramentelle, nous sommes invités à incarner la paix du Christ et, avec elle, nous sommes envoyés dans la vie, comme ses disciples le premier dimanche de Pâques. En entrant dans la pièce fermée le soir de sa résurrection, le Christ a prononcé des paroles d'envoi, accompagnées de sa bénédiction de paix.

Le soir, ce même jour, le premier de la semaine, alors que les disciples étaient réunis et que les portes étaient closes par crainte des juifs, Jésus vint se placer au milieu d'eux et leur dit : « La paix soit avec vous ! Après cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie à la vue du Seigneur. Il leur dit encore : « La paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Et il souffla sur eux en disant : « Recevez l’Esprit Saint ». Jean 20 :19

Il les envoie dans la vie avec le don de l'Esprit Saint, dispensé par le souffle de sa parole et la bénédiction de sa paix. Dans l'Évangile de Jean, c'est le moment où les disciples deviennent des apôtres, des envoyés. De même, après avoir reçu la communion, lorsque les bougies sont éteintes et que le sacrement est accompli, nous pouvons retourner à nos vies individuelles en nous sentant envoyés.

La paix du Christ nous accompagne dans la douleur et la souffrance, ainsi que dans les joies et les triomphes de nos biographies, à la fois belles et complexes. Ce serait une erreur que de penser que la présence de sa paix signifie que tous nos problèmes disparaîtront. Cela pourrait facilement être notre souhait, voire notre prière. Mais une nouvelle compréhension de la paix du Christ en relation avec la croix qu'il a portée, et la croix que porte chacun de nous, pourrait donner lieu à une prière différente – que nos cœurs puissent, petit à petit, se façonner à son image, et que sa paix puisse se frayer un chemin dans le monde à travers chaque existence qui l'incarne. Notre mission, en tant qu'individus et en tant que communauté de chrétiens, est de planter, dans le sol du lieu déchu, les semences du nouveau jardin qu’il a créé et dont nous sommes porteurs, faisant croître sans fin ses frontières.

* Prière pour la paix de saint François d'Assise :

Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix :
là où il y a de la haine, que je sème l'amour ;
là où il y a de l’offense, le pardon ;
là où il y a du doute, la foi ;
là où il y a du désespoir, l'espérance ;
là où il y a des ténèbres, la lumière ;
là où il y a de la tristesse, la joie.
Ô divin Maître, veuille que je ne cherche pas tant
à être consolé qu'à consoler,
à être compris qu'à comprendre,
à être aimé qu'à aimer.
Car c'est en donnant que l'on reçoit,
c'est en pardonnant que l'on est pardonné,
et c'est en mourant que l'on naît à la vie éternelle.

Traduit/adapté de l’anglais par Philia Thalgott

Article paru sous le titre His peace dans « Perspectives – Dec. 2024 – Feb. 2025 » (Royaume-Uni)
© http://perspectives-magazine.co.uk/

 

 

 

 

 

 

 

 

­