Le combat de Michaël et du Dragon
Jean-Charles Chignac *
Le motif si répandu dans l'iconographie chrétienne, et si incisif pour la conscience chrétienne - le combat de Michaël avec le Dragon - a sa source principale dans le douzième chapitre de l'Apocalypse de saint Jean, presque au milieu et comme à la charnière de tout le déroulement apocalyptique.
Or il est introduit par un autre motif presque aussi fascinant, celui d'une femme vêtue de soleil en train d'enfanter un fils mâle, menacé d'être dévoré par un Dragon, lequel fait aussi en quelque sorte la transition avec l'image centrale du « combat ».
Le motif de la femme cosmique qui enfante, de la femme couronnée de douze étoiles, avec la lune sous ses pieds, remonte à des temps immémoriaux. Que l'on songe à la Virgo paritura celtique dans la tradition de Chartres ou bien à Isis avec son fils Horus. Mais c'est peut-être dans l'écriture chinoise que se révèle encore pour nous aujourd'hui de la manière la plus simple et la plus immédiate le contenu moral élémentaire de ces images : cette écriture étrange est une mémoire toujours vivante des richesses de conscience de l'humanité aux origines. L'idéogramme chinois, pour exprimer de la façon la plus courante ce qui est « bon » et « bien », stylise tout simplement une femme avec un enfant à côté : ce qui est bon par excellence, l'acte moral par excellence, c'est le fait pour la nature humaine féminine de mettre l'être humain au monde ; l'acte moral par excellence, à tous les niveaux de l'âme, c'est de donner jour à l'être humain ! La raison la plus profonde de la vie sur terre, et en même temps le sens moral le plus profond de cette vie sur terre, c'est de faire s'épanouir toujours mieux la nature humaine en ce monde.
Un autre idéogramme tout aussi courant et fondamental que le précédent est l'idéogramme pour le mot « être ». Être, le verbe être, est représenté en chinois par le signe de ce qui est « droit », de la « droiture », avec le signe du « soleil » par-dessus, le symbole primitif étant d'ailleurs, comme partout, un cercle avec un point au centre. La signification morale de l'ensemble coule de source : « être », c'est se comporter avec droiture à la lumière du soleil. Magnifique ! L'obélisque égyptien n'a pas d'autre signification ; cette aiguille de pierre, image de verticalité et de droiture, porte à son sommet une petite pyramide recouverte d'or, qui capte le rayonnement solaire dans toutes les directions du ciel.
Le concept de « l'être », le concept primordial, dont tout découle dans la philosophie du devenir de Hegel, l’être, le sommet de l'abstraction intellectuelle pour la conscience pensante, il naissait directement d'une contemplation cosmique pour la conscience humaine aux origines ; la moralité, la droiture, l'axe de la personne humaine émanait du rayonnement solaire, du vêtement solaire de la « femme céleste » en train d'enfanter justement l'individualité humaine dans sa droiture morale ; naissance dramatique comme toute naissance, et toute naissance morale à plus forte raison.
Mais la morale ne saurait rester contemplation sous peine de s'annihiler elle-même : la morale est action, réalisation. C'est d'ailleurs parce que la science moderne ne veut être que théorie, contemplation du monde, contemplation certes hautement abstraite, mais contemplation, contemplation objective neutre, amorale par définition, qu'elle risque de devenir par ce fait même, de plus en plus immorale dans ses applications.
L'Apocalypse, elle, est plus réaliste et vigilante. Dans la réalité à laquelle nous sommes confrontés, le Dragon est à l'œuvre. Et c'est précisément sa juste raison d'être ; il faut seulement le savoir et ne jamais l'oublier : car il n'y a pas d'action sans réaction. La mécanique nous le montre à chaque pas : à commencer par notre propre marche en avant. C'est la résistance du sol, c'est la résistance de nos os qui nous permet de marcher. Que le sol perde de sa résistance et la marche devient pénible, sinon impossible, dans le sable, la boue, la neige ou la vase. Mieux encore, un des triomphes de la mécanique moderne fut de réaliser la propulsion par réaction, jusque dans l'espace vide. Dans les fusées spatiales, on a en effet la réaction sur appui mobile ; la réaction est incorporée au mobile lui-même. Tout l'art est de bien canaliser cette réaction, sinon la fusée, au lieu d'avancer, explose !
La lutte avec le Dragon, avec les forces de « l'adversité » morale, en dehors de soi, et au-dedans de soi : tout l'art est de bien canaliser ces forces, sinon il y a risque « d’explosion » : art d'assumer les antagonismes intérieurs et extérieurs. Mais l'enjeu n'est pas trop élevé : c'est la liberté humaine.
Dans l'image de la femme solaire en train d'enfanter, nous contemplons le modèle moral, le programme moral de l'existence humaine, le principe de la création morale de l'être humain, programme inscrit dès l'origine dans l'économie spirituelle du monde, programme grandiose, mais hiératique et statique comme tout programme, si les choses en restent là ! Le programme doit être assimilé, intériorisé, mis en action.
Dans l'image du combat de Michaël avec le Dragon, nous avons à chaque instant le moteur, la dynamique morale, la création effective de notre liberté : équilibre dynamique entre action et réaction. Pas d'action morale sans résistance : forces, instincts, désirs de toutes sortes sont la matière morale brute, le combustible moral, à canaliser, à sublimer avec intelligence et finesse pour aller moralement de l'avant.
Apocalypse 12/1 -18
In memoriam
Jean-Charles Chignac a passé le seuil le 25 août 2022. Il était né le 4 juin 1935
Il était Prêtre de la Communauté des chrétiens, essentiellement à Strasbourg durant une quarantaine d'années.