­

La femme dans le ciel et le combat de Michaël     

Emil Bock - Article paru dans Perspectives chrétiennes - Saint-Michel 2016 

Une grande image cosmique se présente devant nous, pour nous montrer la situation dans laquelle se trouve tout ce qui est de l'ordre de l'âme. La femme se tient entre le dragon et Michaël, l'archange. L'âme de l'univers et l'âme de l'humanité se tiennent entre ange et démon. C'est en protecteur de l'âme dans le ciel que !'Archange lutte contre le dragon pour le terrasser et le précipiter sur la terre.

Mais, en aucun cas le danger et la mise à l'épreuve de l'âme n'ont cessé par la victoire de Michaël sur le dragon. Au contraire, c'est maintenant que commence vraiment le chemin des épreuves. Les images qui se déroulent devant nous sont la tragédie originelle ; en elles le principe du tragique peut se manifester à nous dans leur évidence.

Lorsque l'Apocalypse décrit comment Michaël combat contre le dragon dans le ciel, cela ne soulève-t-il pas une question d'une profondeur abyssale ? Comment la puissance adverse peut-elle se trouver dans le ciel ? Les notions dualistes superficielles habituelles nous portent facilement à croire que Dieu est dans le ciel et le diable en enfer. C'est pourtant une représentation trompeuse.

Au début du livre de Job, que nous pouvons considérer comme un Faust dans la Bible, nous sommes témoins d'une conversation entre Dieu, le Seigneur, et Satan, au sujet de Job, le serviteur de Dieu : « Or un jour il arriva que les fils de Dieu vinrent se présenter devant le Seigneur. Et Satan vint se présenter aussi avec eux. Le Seigneur dit à Satan : "D'où viens-tu ?" Satan répondit au Seigneur: "J'ai parcouru tous les pays de la terre." Le Seigneur dit à Satan : "As-tu remarqué mon serviteur Job ? ». Avec un zèle précipité, Satan s'érige en accusateur de l'homme ; il ne peut assez faire pour le noircir. Finalement, il demande et obtient la permission de tourmenter Job à l'extrême, de le battre et de le séduire. À notre plus grand étonnement, nous devons reconnaître que Dieu croit en l'homme et que c'est la raison même pour laquelle il laisse le champ libre au diable : « Soit ! Essaye donc de le séduire ; tu n'y parviendras pas ». (Livre de Job, 1, 6-12)

Goethe a repris ce passage dans l'introduction de son Faust, le « Prologue dans le ciel ». Les Fils de Dieu, les Archanges Raphaël, Gabriel et Michaël s'approchent. Méphistophélès est aussi parmi eux : nous voyons l'adversaire comme un habitant du ciel. Une conversation analogue s'engage. Le Seigneur autorise Méphistophélès à tenter Faust de toutes ses forces. Dieu croit en l'homme :

« Eh bien ! Fais-en donc ton affaire.
Détourne cet esprit de sa source première ...
Mais reste confondu s'il te faut reconnaître
Qu'un homme bon, poussé par un obscur instinct,
Reste conscient du plus droit chemin. »

Que Dieu croie plus en l'homme, qu'il ait une plus grande confiance en lui que le diable, c'est le fondement secret de toute tragédie. Les dieux permettent que les épreuves, les souffrances et les pertes où l' homme est précipité augmentent, dans la mesure où l'homme grandit ; ils sont certains qu'à la fin, il en sortira plus mûr et plus riche. C'est avec l'assentiment et la volonté de la Divinité que l'homme doit entreprendre sa confrontation avec les puissances du mal : de cela ressortent le sens profond donné à notre époque et l'attitude intérieure qu'un christianisme moderne devrait implanter dans les âmes des hommes.

La Révélation de Jean porte à sa plus puissante intensité ce motif qui s'adresse au courage le plus intime de l'être humain. Quand il apparaît pour la première fois, le dragon fait partie des habitants du ciel. Mais dans le ciel, il est vaincu et précipité avec ses troupes par Michaël et ses anges. Où est-il précipité ? Le résultat de la victoire de Michaël est que le champ d'action des puissances adverses est transféré du ciel sur la terre. Dans le ciel, la jubilation peut régner du fait que le dragon en a été expulsé. Mais de la terre s'élève le cri de détresse : « Malheur à ceux qui habitent la terre, car l'adversaire est descendu chez eux dans une grande fureur » (Apocalypse 12, 12). La terre est le désert où la femme dans le ciel avait dû fuir. L'enfant est enlevé et sauvé ; mais que va devenir la mère qui s'est enfuie sur la terre ? - La même volonté divine qui avait d'abord protégé la mère et son enfant fait qu'à présent l'âme humaine est plus que jamais menacée et combattue par les puissances démoniaques. La confiance de la Divinité à l'égard de l'âme de l'humanité agit d'après la loi de la tragédie originelle. Le retentissement de la septième trompette, pendant lequel ce drame se déroule, est en même temps le troisième « Malheur ! ». La conséquence du combat michaélique est que l'âme humaine doit désormais affronter les puissances de l'abîme sur la terre. Le temps du repos est passé pour l'homme terrestre : ceci est la conséquence des actes des dieux bons. L’adversaire se présente contre l'homme avec l'autorisation divine. Mais dans toutes les difficultés et les combats qui sont dorénavant à mener sur la terre contre les puissances du mal, il est une consolation : c'est que l'adversaire est déjà vaincu dans le ciel, la nuque lui a déjà été brisée. Cependant, ce réconfort n'a de sens que s'il signifie en même temps un affermissement du courage et une disposition à la lutte. Sur terre, la victoire doit malgré tout être remportée par l'homme lui-même.

L'acte suivant du drame montre comment le dragon avance à l'attaque contre la femme. Il projette de prodigieuses masses d'eau de sa bouche. Le résultat de cette attaque du dragon est une sorte de déluge. La femme risque de se noyer dans les flots. C'est alors qu'elle reçoit une double assistance. Des ailes d'aigle lui sont données. Par la force de son envol, la femme peut poursuivre sa route malgré les dangers qui la menacent. C'est la terre qui lui fournit la seconde aide : elle ouvre sa bouche et engloutit le déluge.

Ces images valent pour les grands comme pour les petits cycles : elles décrivent aussi bien les grands événements cosmiques que les développements intérieurs de l'âme. Si nous reconnaissons en elles de grands événements cosmiques, leur contemplation peut nous aider par l' image à nous orienter dans les lois qui régissent le devenir de l'âme. Nous avons déjà mentionné le fait que le drame du douzième chapitre de l’Apocalypse peut être mis en relation avec un événement très important. qui a transformé l'humanité terrestre à l'époque atlantéenne. À cette époque, la vie de l'humanité se poursuivait sur un continent situé entre l'Europe et l'Amérique actuelles, appelé l'Atlantide d'après les anciens auteurs grecs qui en ont parlé. C'est à cette époque que l'humanité fit un pas décisif en recevant le premier germe du « Je », de l'individualité. La femme dans le ciel mettait son fils au monde. Mais cette transformation, ces douleurs de l'enfantement d'une époque qui se préparait à recevoir le « Je », ne pouvaient pas apparaître sans que les forces du dragon reléguées sur le plan terrestre par la victoire de la puissance michaëlique intensifient leur activité à l'extrême. Elles s'en prirent donc à la nouvelle force qui s'annonçait dans l'humanité. L’ancienne Atlantide est le Nifelheim ou « demeure des brumes » du mythe germanique. La relation entre l'élément de l'air et celui de l'eau était alors différente d'aujourd'hui, si bien que la totalité du continent était recouverte de gigantesques masses de brume. Ces formations nuageuses qui avançaient en roulant leurs bancs informes servaient de corporéité au dragon... Au milieu de l'époque atlantéenne, alors que le « Je » naissait dans les hauteurs, bien au-dessus des hommes, un violent changement se produisit de ce fait dans la vie de l'âme humaine. Un premier rêve de la personnalité mit l'âme de l'humanité en mouvement. Des tentations et des égarements grandioses furent la conséquence de ce que le tentateur essayait de s'emparer de la nouvelle force dans l'être humain. À cette époque, tout ce qui se passait sur le plan de l'âme et de l'esprit avait un effet tellement immédiat sur les éléments de la nature, que les masses brumeuses se condensèrent au point de provoquer la gigantesque catastrophe du déluge, dont le continent atlantéen entier devint finalement la victime. Le dragon était devenu l'artisan du grand déluge. Mais la terre vint en aide à la femme qui s'apprêtait alors à devoir vivre dans le désert d'un monde durci. Elle prit sur elle les conséquences catastrophiques du déluge et changea de forme. Avant la grande catastrophe du déluge, la partie de l'humanité qui portait en elle les forces évolutives la conduisant vers l'avenir avait été mise à part pour être sauvée. Depuis le centre de l'Asie, elle put envoyer des colonies, fondatrices des grandes cultures postatlantéennes. Ainsi la disparition de l'Atlantide peut-elle se présenter à nous comme un sauvetage apocalyptique de l'humanité, comme la grande aide pour franchir le seuil d'une grande époque vers une nouvelle ère.

L’humanité évolue toujours selon la loi qu'a suivie ce drame cosmique. C'est le cas chaque fois que, dans le grand rythme du devenir, les légions de l'archange s'opposent victorieusement aux puissances du dragon, entraînant sur la terre un tel déchaînement des forces démoniaques, qu'il en résulte un déluge, sinon sur le plan physique, du moins sur le plan de l'atmosphère de l'âme. Des périodes chargées d'une violente agitation traversent l'humanité et il est nécessaire qu'au milieu de cette agitation fébrile qui secoue le monde entier, se constituent de petits cercles de personnes qui, sans prétention vers l'extérieur, préparent intérieurement l'avenir avec le plus grand courage et la plus grande volonté de sacrifice.
 

Extrait de : Emil Bock, Apocalypse. Considérations sur la Révélation de Jean, au chapitre : .. Michaël et les bêtes de l'abîme : Le double visage du mal. " Éditions lona. 2016.
Traduit de l'allemand par Jean Nidecker.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

­